Quelle justice dans la nouvelle Constitution

La Constituante s’occupera aussi des institutions judiciaires, parmi une foule d’autres thématiques. Le sujet est peu familier à la plupart des citoyennes et citoyens, il n’est guère racoleur et réservé à des débats assez techniques. En un mot, il n’est pas sexy.

Et pourtant, la bonne marche de la justice est un des piliers de toute société démocratique. Il n’y a qu’à voir ce que l’absence de justice autorise, dans une actualité qui est malheureusement toujours présente : des arrestations par milliers de manifestant·e·s pourtant pacifiques, des détentions sans jugement, des collusions impunies. La loi du plus fort, en somme. Une justice qui fonctionne est le dernier rempart contre l’arbitraire et elle doit nous préoccuper toutes et tous.
Ainsi donc la Constituante sera appelée à regarder ce qu’il faut conserver de notre système judiciaire cantonal, parce que tant s’en faut tout n’est pas à jeter, et aussi ce qu’il faut y insuffler comme esprit nouveau, parce des progrès sont également à proposer. Le tout dans les limites du droit supérieur, fédéral et international.

Une chose est certaine, il faut s’assurer une justice réunissant en premier lieu les compétences nécessaires. Un renforcement de la justice de premier échelon est dans ce sens inévitable. Cela est vrai pour les Autorités de protection de l’adulte et de l’enfant, dont l’émanation historique, issue des anciennes chambres pupillaires de village, ne garantit pas un niveau suffisant de bonne pratique. Cela est vrai aussi pour la justice communale, dont la nomination actuelle, au scrutin populaire, produit le risque d’un choix d’abord partisan, avant le choix de la meilleure personne pour le poste. A faire donc : élever les exigences et regrouper pour mieux doter. Ce sera peut-être par la création d’un véritable Tribunal de la famille, par exemple.

Autres institutions à introduire, pour une application toujours meilleure dans des domaines toujours plus complexes : en matière constitutionnelle, pour trancher les recours en matière d’initiatives populaires ou sur les questions d’exercice des droits politiques, et en matière environnementale, pour assurer une application conforme d’un droit en incessant développement et souvent très spécifique. Dans ces secteurs importants, notre canton ne peut se permettre d’être à la traine.

La Constituante va aussi examiner l’opportunité de la création d’une Cour des comptes, organe de contrôle de l’activité étatique, non seulement sous l’angle financier strict, ce que fait bien aujourd’hui l’Inspection cantonale des Finances, mais aussi à l’aune de la bonne gestion administrative au sens large, notamment en termes de durabilité et de bonne utilisation des ressources à disposition. Ce contrôle doit en outre être confié à de véritables magistrats, ayant le statut équivalent à celui des juges, ce qui n’est pas le cas pour l’heure.

Enfin, une chose est essentielle, la justice doit absolument rester indépendante. C’est l’origine de sa représentation les yeux bandés. Elle doit s’affranchir du microcosme politique encore davantage. Les juges et les procureurs doivent être à l’abri des pressions de leur grand électeur, qui est le parlement pour les magistrats supérieurs. Ce sera la tâche du Conseil de la magistrature d’y contribuer. C’est pourquoi aussi il faut mettre fin à une réélection périodique, qu’il faut remplacer par un mécanisme de destitution en cas de dysfonctionnement grave. Ce sera un progrès notable.

L’ouvrage est sur le métier. Beaucoup de bonnes volontés, de tous bords, se sont manifestées. Il reste à espérer que ces évolutions ne soient pas tuées dans l’œuf, au cours du processus d’élaboration du texte constitutionnel, qui est encore long et sinueux. Mais la frilosité, notamment financière, devant la nouveauté serait de mauvais aloi. Dans une société réellement moderne, la justice doit être dotée des moyens des ambitions qu’on attend d’elle.

Olivier Derivaz, Président de la Commission thématique 9 chargée des Tâche de l’Etat – Autorités judiciaires